Le legs du droit de suite par l’artiste

Alors que le droit de suite ne pouvait être l’objet d’un legs de par son caractère inaliénable, la loi du 7 juillet 2016 a reconnu le droit pour l’artiste de le transmettre par voie testamentaire. Les dispositions nouvelles n’en suscitent pas moins diverses interrogations auxquelles il appartiendra certainement à la jurisprudence de répondre.

Le droit de suite est défini par l’article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle comme un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre graphique ou plastique après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art.

Il octroie ainsi à l’artiste ou à ses héritiers la perception d’une rémunération, au fur et à mesure des reventes successives de l’œuvre par un professionnel du marché de l’art, sous forme de pourcentage sur le prix de vente lorsqu’il dépasse 750 euros [1].

Ce droit de première importance pour les artistes et leurs ayants droits était jusque récemment l’objet d’une inaliénabilité totale, interdisant ainsi l’artiste de le transmettre par voie testamentaire.

La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine est venue remettre en cause ce principe en autorisant désormais l’artiste à le léguer, par exemple à une fondation contrairement à ce qu’avait retenue la jurisprudence jusqu’alors [2].

Il s’agit des nouvelles dispositions de l’article L123-7, I du Code de la propriété intellectuelle aux termes desquelles :

« Après le décès de l’auteur, le droit de suite mentionné à l’article L122-8 subsiste au profit de ses héritiers et, pour l’usufruit prévu à l’article L123-6, de son conjoint, pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années suivantes. Sous réserve des droits des descendants et du conjoint survivant non divorcé, l’auteur peut transmettre le droit de suite par legs. En l’absence d’héritier et de legs du droit de suite, ce dernier revient au légataire universel ou, à défaut, au détenteur du droit moral ».

Si de telles dispositions apparaissent particulièrement bien venues et ont d’ailleurs été saluées par nombre de professionnels, elles n’en ont pas moins suscité, et suscitent toujours, un certain nombre d’interrogations du fait du leur caractère peu explicite et de leur difficile articulation.

La principale controverse tient au fait de savoir si un legs du droit de suite serait ou non valide en présence d’héritier réservataire ou de conjoint survivant. Le nouveau texte énonce en effet que cela est sous réserve des droits de ceux-ci que le droit de suite peut être transmis par voie testamentaire.

Faut-il alors comprendre une telle condition comme visant la seule atteinte aux droits des héritiers réservataires et du conjoint survivant, soit à leur réserve héréditaire, ou comme excluant tout legs en présence de tels héritiers dont les droits seraient nécessairement diminués par un tel legs ?

Si la première interprétation pourrait être logique, au moins à partir d’une lecture littérale de l’alinéa 2 de l’article L123-7,I, précité, elle pourrait tout aussi bien être contredite par une analyse du texte pris dans son ensemble.

Les auteurs sont divisés sur la question qui devra dès lors certainement être tranchée en jurisprudence.

De la même façon, la loi nouvelle suscite des interrogations quant à son application dans le temps.

Elle prévoit en effet que le nouvel article L123-7, I, précité

« est également applicable aux successions ouvertes avant la publication de la présente loi, y compris celles qui auraient été réglées à cette date, lorsqu’il n’existe aucun héritier régulièrement investi du droit de suite en application des règles de transmission en vigueur au jour du décès ».

Par une réponse du 16 novembre 2017 [3], le ministre de la Culture a rappelé que l’esprit du nouveau texte était de permettre aux fondations instituées légataires universelles de pouvoir bénéficier du droit de suite, et ce alors même que la succession a été ouverte antérieurement à la publication de la loi du 7 juillet 2016.

Elle précise que

« l’article 31 de la loi du 7 juillet 2016 n’a donc pas pour effet de rouvrir un processus successoral clos et d’imposer une nouvelle recherche d’héritiers pour les auteurs dont la succession a déjà été réglée ». La loi n’aurait alors pas « pour effet de porter atteinte aux droits acquis, le texte préserve les droits des héritiers régulièrement investis ».

Une telle réponse souffre d’imprécision, notamment dans l’interprétation du terme « héritier » retenu par la loi [4] et n’est dès lors pas pleinement satisfaisante alors que la question est d’importance puisqu’il s’agit de savoir si la loi nouvelle peut porter atteinte aux droits acquis des héritiers non réservataires qui disposaient jusqu’alors du droit de suite. Il reviendra très probablement là encore à la jurisprudence de fixer le cap.

Il est en tout cas à se féliciter de ces nouvelles dispositions offrant davantage de libertés à l’artiste dans l’organisation de la continuation de son œuvre et des droits qui s’y attachent.

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1] Article R122-6 du Code de la propriété intellectuelle.

[2] Cass. Civ. 1, 11 janv. 1989, n°86-19.496.

[3] Rép. min. n° 548 : JO Sénat 16 nov. 2017, p. 3577.

[4] Article L123-7, I, al.3.

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