Recel successoral : actualité d’une institution majeure

Le recel successoral, édicté à l’article 778 du Code civil, est le fait pour un héritier de détourner volontairement et frauduleusement un bien en vue de se l’approprier au détriment de ses cohéritiers ou de dissimuler volontairement l’existence d’un autre héritier. Le recel a pour objet de rompre l’égalité des héritiers dans le partage d’une succession.

Le Code civil prévoit plusieurs sanctions à un tel acte, l’acceptation pure et simple de la succession ainsi que, pour ce qui concerne le détournement d’un bien, le fait de ne pouvoir prétendre à aucun droit sur celui-ci et de devoir restituer tous les fruits et revenus que ce bien aurait produits, sans préjudice de dommages-intérêts à raison du préjudice subi par la victime.

Le recel successoral nourrit un contentieux très important qui s’explique d’autant mieux que la consistance de l’actif de succession est fréquemment l’objet de dissensions entre les différentes parties à une succession. Les cas les plus classiques, sans être évidemment exclusifs, sont ceux de recel commis par un frère ou une sœur au détriment de sa fratrie ou du conjoint survivant et de ses enfants éventuels au préjudice d’enfants d’un premier lit, le tout parfois avec le concours antérieur du (de la) défunt(e).

Le contentieux est d’autant plus fourni que le recel peut prendre de multiples formes autre que la « simple » dissimulation d’un bien ou son détournement, par le jeu notamment des donations indirectes ou déguisées, notamment à l’occasion d’opérations sur des parts de société (souscription à une augmentation de capital, cession de parts sociales etc.).

Nombre des plus importants procès en matière successorale, dont les enjeux financiers peuvent être extrêmement élevés, présentent ainsi une problématique de recel successoral.

Sur les deux dernières années, plusieurs décisions saillantes méritent d’être rappelées en ce qu’elles touchent à des problématiques importantes de la matière.

1/Le recel successoral constitue un délit civil qui nécessite la démonstration de deux éléments cumulatifs : la dissimulation (élément matériel) et l’intention frauduleuse (élément intentionnel).

La Cour de cassation a récemment rappelé la nécessité pour celui se prévalant d’un recel successoral de démontrer l’intention frauduleuse de son auteur [1], ce qui s’avère être fréquemment l’un des obstacles majeurs au prononcé d’un recel et des sanctions qui s’y attachent, ce d’autant que l’intention frauduleuse ne peut normalement être uniquement déduite des faits de détournement ou de dissimulation, soit de l’élément matériel.

2/ S’il est un délit civil, le recel trouve également son pendant en matière pénale, tout particulièrement avec le délit pénal de vol (art. 311-1 et s. du Code pénal).

A cet égard, la Cour de cassation a pu rappeler que la relaxe au pénal du chef de vol a pour conséquence au civil l’impossibilité de caractériser l’élément intentionnel (l’intention frauduleuse) du recel successoral [2]. Il s’agit d’un cas d’application du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qui invite à la plus grande prudence dans le choix de la nature des actions à entreprendre en présence d’un recel successoral.

3/ A revenir au plan strictement civil, la Cour de cassation a rappelé, conformément à une jurisprudence désormais constante, que les demandes en rapport d’une donation déguisée dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’une instance en partage successoral [3].

Il en résulte qu’un plaideur qui se limite à solliciter l’application des peines du recel successoral sans solliciter de partage est irrecevable en son action.

Au cas où le partage a déjà eu lieu, il ne peut pas davantage se prévaloir d’un recel successoral sauf à agir en nullité du partage ainsi intervenu, en complément de part ou en partage complémentaire [4].

Une telle jurisprudence présente un intérêt tout particulier en présence d’héritiers réservataires victimes d’un recel successoral commis par un ou plusieurs légataires universels. L’on sait depuis un important arrêt de la Cour de cassation [5] qu’il n’existe pas d’indivision entre un héritier réservataire et un légataire universel, le second étant saisi de l’intégralité des biens de la succession et ne devant qu’une indemnité en valeur au premier correspondant à la réserve héréditaire de ce dernier (indemnité de réduction).

Il en résulte qu’il n’y aurait pas de partage possible dans cette situation et, à appliquer les décisions précitées de la Cour de cassation, qu’à défaut de partage, le recel successoral ne pourrait être retenu à l’encontre du légataire universel qui aurait détourné un bien de la succession.

Une telle solution serait naturellement choquante, conférant au légataire universel une immunité dont ne bénéficie pas l’héritier réservataire et pouvant de ce fait l’encourager au recel dès lors qu’il n’encourrait aucune sanction. Elle n’a toutefois, à notre connaissance, pas été retenue à ce jour par les juridictions ayant eu à se prononcer, à juste titre au regard de l’iniquité de la solution contraire [6]. Il convient néanmoins d’attendre une solution claire et définitive en la matière.

Ainsi, les contours du recel successoral doivent-ils sans cesse être précisés, en souhaitant que cette institution essentielle, protectrice de tout héritier, puisse être suffisamment préservée dans le respect des droits de chacun.

Le concours d’un avocat peut s’avérer indispensable en la matière, particulièrement en cas de conflit. Celui-ci saura vous accompagner et vous conseiller dans toute démarche à suivre.

Le cabinet B | S Avocats, composé d’avocats experts en droit des successions, met son expertise et son savoir-faire à votre disposition afin de défendre vos intérêts et faire valoir vos droits.

[1] Cass. 1re civ., 15 sept. 2021, n° 20-11.678

[2] Cass. 1re civ., 13 janv. 2021, n° 19-16.024

[3] Cass. 1re civ., 2 sept. 2020, n° 19-15.955

[4] Cass. 1re civ., 6 nov. 2019, n°18-24.332

[5] Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 14-16.967, FS-P+B

[6] par ex., CA Paris, 19 mai 2021, n° 19/02059 ; CA Aix-en-Provence, 9 juin 2021, n°17/10521

Précédent
Précédent

Les Français poursuivis à l’étranger

Suivant
Suivant

Spoliations d’œuvres d’art : la protection des droits des propriétaires légitimes